En Ariège ! Histoire, Sites Et Légendes [French]

« ceux qui d plorent le peu de go t des Fran ais pour les voyages, certains r pondent: " quoi bon aller chercher au loin ce que nous poss dons chez nous, sans sortir de nos fronti res." L'argument serait valable si nous connaissions r ellement les innombrables ressources de beaut qui font de notre pays le premier du monde. Le malheur c'est que nous n'en connaissons qu'une partie, la plus accessible, parlant la plus banale. Nous aimons la nature, mais nous la voulons aimable, accueillante, mise au point. L'effort m me pour jouir, nous d pla t. Nous sommes des sensibles et non des volontaires, des promeneurs et non des montagnards, des artistes et non des conqu rants. Nous tenons sentir vite, du premier coup; le sublime nous d concerte; nous l'exigeons taill notre mesure, adapt nos regards, r duit aux dimensions du joli, du gracieux. La litt rature chez les gens du monde, la romance chez les gens du peuple, ach vent de tuer le go t de l'action en notre race, jadis guerri re (Henry Spent).
C'est pourquoi nous prenons ce qui est la port e de la main, le plaisir imm diat propre satisfaire notre indolence, calmer nos app tits fugaces de gourmets t t rassasi s. Si la beaut n'est pas am nag e, si elle ne vient pas notre rencontre, nous la regardons d'en bas, de loin, heureux quand m me d'en pouvoir tirer par la seule contemplation, des jouissances. la longue, l'imagination nous persuade de l'avoir r ellement poss d e, car nous avons une grande facult d'illusion, une inconcevable, incurable tendance tre dupes.
Or, dans les Pyr n es d'Ari ge, le sublime n'est gu re mis en valeur. Il est invisible, haut perch , farouche. Il ne se d robe pas, mais il ne se montre pas. Il existe, d'autant plus vivant qu'il n'est pas alt r par l'industrie humaine, vulgaris par les racontars, la chronique. Donner son reflet exact est une entreprise au-dessus de nos forces. Mais d faut de l'auguste et captivante r alit , le lecteur en trouvera ici la transcription vue travers la sensibilit d'un homme pareil lui et comme lui destin mourir...
Ces r flexions taient n cessaires au seuil de cette tude en grande partie consacr e aux merveilles physiques de l'Ari ge. Le d dain qui accable les magnificences de cette terre des grottes et des montagnes est tel, tay sur une si solide et si injuste l gende, que toute tentative de r action en leur faveur prend les allures d'un paradoxe. La Suisse, l' cosse n'ont pas besoin d'introduction: les d partements pyr n ens et l'Ari ge en particulier doivent tre pr sent s au lecteur avec leur tat signal tique.
Que de Toulouse on remonte la Garonne, puis le fleuve Ari ge; que, venant de l'Occident on longe les rivi res Arize et Salat; qu'on suive la S gre ou la Noguera-Pallaresa, partir de la terre Aragon ou l'Aude depuis le rivage de la brillante M diterran e, on arrive galement dans un pays de montagnes sublimes, de bassins verdoyants, de lacs profonds, d' pres gorges o blanchissent des torrents n s dans la neige ou sortis en bouillonnant d'une arcade de glace bleue. Ces montagnes se nomment les Pyr n es, ce pays s'appelle l'Ari ge. C'est l'ancien Comt de Foix, le pilier de la v ritable France du Sud, puisqu'il se trouve entre Languedoc et Aquitaine, la source d'une rivi re qui va se perdre au loin, dans l'occident bourbeux de la Saintonge...
vrai dire ce pays de neiges, de rochers, de for ts muettes, de sommets altiers et de souterrains si tentant qu'il soit pour le d neur pourvu d'un fin cigare, exige une telle d pense d' nergie, un tel d ploiement de forces, un attirail si compliqu que, seule, une quipe nombreuse, bien entra n e, bien soud e, peut y circuler, y vivre durant des semaines. Un s jour de plusieurs mois est n cessaire pour explorer ses recoins perdus au fond des vall es ou dans les entrailles de la terre, plusieurs mois de pain noir, de vin aigre, de lard rance, plusieurs mois de fi vre sans sommeil, -- mais aussi des mois et des mois de vie libre, rude, joyeuse et fi re.
Pour ceux qui n'ont pu jouir du spectacle de ce chaos immense qu'anime de loin en loin le vol lourd des perdrix grises, de ces for ts muettes parsem es de sapins morts aux branches nues, comme crucifi es, de ces cascades mugissantes dont la voix ne s'arr te jamais, nous avons voulu rassembler ces quelques notes, r sultat de trois ann es d'excursions en Ari ge. Nous ne d taillerons certes pas pi ce par pi ce les merveilles de cette terre fortun e, car dix volumes suffiraient peine la partie technique, fastidieuse, mais nous nous reconna trons satisfaits si nous pouvons attirer dans nos superbes montagnes quelques-uns de ces d soeuvr s que tout rappelle en bas vers les ch res habitudes d laiss es, et que rien n'attire en haut, vers l'Inconnu.
Le devoir de l' crivain n'est pas de d crire, mais de convaincre. " Toute v rit est bonne savoir " a dit Renan.
L'Ari ge n'est pas une petite Suisse, comme nous le disons parfois, pensant lui faire honneur. L'Ari ge, c'est l'Ari ge avec son puissant relief aux doux escaliers. On les gravit sans fatigue et sans vertige, sans songer la conqu te d'une r gion sup rieure, mais avec l'int r t de bonnes gens montant au fa te de leur maison pour contempler leur jardin (Georges Sand).
C'est que ce jardin, c'est la France dont une si grande partie va se d rouler sous nos yeux, des sommets pyr n ens. Sur ces paisibles belv d res, nous serons encore au coeur de la Patrie. Nous aurons sous les pieds ces vieux massifs qui nous ont fait merger du sein des oc ans et qui par leur puissance sont comme les assises de notre existence. La cha ne pyr n enne qui prot ge une de nos fronti res n'est qu'une muraille: l'Ari ge en est la forteresse.

En Ari ge : histoire, sites et l gendes / Louis Gaussen
Date de l' dition originale: 1905
Sujet de l'ouvrage: Ari ge (France)

Le pr sent ouvrage s'inscrit dans une politique de conservation patrimoniale d